Euripide : Héraclès


Nous sommes à Thèbes, un jour alors qu’Héraclès, aux enfers pour tuer Cerbère et achever ses travaux, y a laissé ses trois enfants, sa femme Mégara, son père adoptif Amphitryon et l’imposteur Lykos, qui leur a scellé les portes du palais. Le dramaturge nous entraîne, de cette situation initiale, de la force du vouloir — humain — à celle de la nécessité divine, mais palie à partir d’une moralité qui se déplace d’Eschyle et des drames où le dieu a toute la puissance : l’homme — ici Thésée — et son logos deviennent plus imposants.
Héraclès est le fils de Zeus et d’Alcmène, la femme d’Amphitryon ; avec les Trachiniennes de Sophocle, il est céans le héros principal du drame. Selon une pensée très hellénique, il résume la contrariété de l’homme, étendue aux extrêmes : après plusieurs exploits — dont la délivrance de Prométhée — il épouse Mégara et, pris par la folie, devient le meurtrier de ses propres enfants ; il fut alors attaché à Eurysthée qui lui manda douze travaux, le faisant le délivreur de l’humanité des monstres.

1. Le lion de Némée, à la peau impénétrable : le héros se servit des griffes de l’animal ;
2. L’hydre de Lerne, dont les têtes qui repoussaient doubles furent brûlées par le compagnon d’Héraclès, Iphiclès ;
3. La biche aux cornes d’or, devant être ramenée à Euryclée ;
4. La capture du sanglier d’Erymanthe ;
5. Les écuries d’Augias, nettoyées avec le détour des eaux de deux fleuves ;
6. Au lac Stymphale, en Arcadie, Héraclès en tua les oiseaux ;
7. La capture du taureau de Crète ;
8. La capture des cavales de Diomède, qui les nourrissait de chair humaine et qui, tué par Héraclès, fut dévoré par elles ;
9. La ceinture d’Hippolyte, reine des Amazones, ramenée à la fille d’Eurysthée ;
10. La capture des bœufs de Gérion, un géant ;
11. Les pommes du jardin des Hespérides, filles d’Atlas ;
12. La capture de Cerbère, chien à trois têtes gardien de l’entrée des enfers.

Euripide renverse cette chronologie en plaçant le crime après les travaux. On pourrait croire qu’il veut se délier, par maintes fois, de la fatalité aveugle à laquelle sont soumis hommes, dieux et mythe. Y parviendra-t-il ?


I. La punition de Lykos


Jusqu’au vers 811, un peu plus de la moitié de l’œuvre, et où l’action aurait pu cesser là, l’on se concentre sur l’imposture de Lykos, soucieux d’immoler la descendance d’Héraclès, alimentant sa peur de voir un jour son trône par eux renversé. Prévoyant encore la mort de Mégara, dont le père fut le roi de Thèbes et tué par Lykos, et d’Amphitryon, ces deux parents ouvrent la pièce sur la question de savoir s’il faut hâter le trépas ou entretenir l’espoir ; le vieillard conclut :


 Au Lykos qui diminue les exploits d’Héraclès, qui loue la lance contre l’arc — l’arme des Perses — et allègue pour sa conduite la prudence (ευλάβεια), Amphitryon ne répond qu’en s’adressant à l’absent : les Géants et monstres sont vaincus, l’arc est l’arme qui permet le mieux de protéger les siens et faire du mal à l’ennemi. Mais le tyran se montre implacable, et Mégara conclut le premier argument à sa manière :


Si le morceau de l’action plénière, jusqu’au vers 811, semble cependant singulièrement lié au monde de l’homme, si au contraire la seule résignation de Mégara à la Nécessité en crée le contraste, au pied de la mort elle voit une lueur d’espoir, appelle son époux à n’apparaître sinon en songe. Le voilà, revenu de l’Hadès et comme apportant la justice de Zeus mise à l’épreuve, laissant la Fatalité à l’extradivin autant qu’à l’extrahumain. La mort de Lykos semble accorder à l’action l’euphorie arrachée à la lâcheté du tyran et à la grandeur d’Héraclès : un équilibre juste est achevé.


II. La vengeance d’Héra


Soudain les bras d’Héra jalouse, Iris (la messagère des dieux) et Lyssa (la Folie furieuse), apparaissent au-dessus du palais, jalousie s’étendant à l’idée générale que :


 Jouets des dieux, de Zeus et d’Héra, de l’inconnu de leurs décisions, les hommes et la pièce semblent revenir à un drame eschyléen, tout comme la parole de Lyssa reproduit la Force du Prométhée, mettant ses paroles contre l’arrêt d’Héra, comme si les dieux, ainsi que les hommes précédemment, pouvaient aller contre ce qui doit être. Il ne semble pas encore. Lyssa accomplit sa tâche, et Héraclès esclave de son œuvre commet le plus horrible des crimes. Ce sera un messager qui relatera l’accès (922-1015) :


 C’est Pallas qui l’aura arrêté, le laissant endormi et la vie à Amphitryon.


III. Le sauvetage de Thésée


Quand le héros déchu par les déesses se réveille, attaché à un tronçon de marbre, le spectacle qui s’offre à ses yeux ne prélude qu’au suicide (1146 ss.) Mais Thésée arrive, qu’Héraclès avait délivré des enfers, et contre ce projet et toutes ses raisons (1255-1310) va le convaincre de vivre en exil, à Athènes, en disant que les dieux aussi se résignent au sort, et qu’il serait vain pour un mortel de croire s’en émanciper. Héraclès, en ajoutant que mourir ainsi serait d’un lâche, accepte.

Euripide transporte de la sorte le mythe thébain à la puissante Athènes de son époque.



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